Cépages et vignobles de france

PREFACE DE LA SECONDE ÉDITION

En 1956, j'ai commencé la publication de mon ouvrage "Cépages et Vignobles de France", en 4 tomes, afin de décrire tous les cépages cultivés à cette époque en France : Porte-greffes, Hybrides producteurs directs, Cépages de cuve et de table et faire l'inventaire de tous les vignobles de chaque département. C'était l'œuvre d'un jeune homme de 35 ans connaissant bien ce matériel végétal, ayant contrôlé pendant 3 ans la plupart des Hybrideurs et des pépiniéristes français et enseignant depuis 10 ans l'ampélographie aux Étudiants de l'École Nationale d'Agriculture de Montpellier.

En effet, j'ai débuté comme Contrôleur de la Protection des Végétaux, chargé sous l'autorité administrative de M. Lenfant, Inspecteur de la PV de la region de Toulouse et sous l'autorité technique du professeur Branas à Montpellier, de mettre sur pied le contrôle des Bois et Plants de Vigne, rude tâche où il fallait tout créer : recenser tous les professionnels, visiter leurs plantations de vignes américaines ainsi que leurs pépinières et vérifier l'authenticité des variétés mises en vente.

Le professeur Foex avait créé les premières collections de vignes à l'École et son successeur Ravaz, en 1899, avait refait une nouvelle collection de vignes américaines et de cépages de cuve ou de table. En 1902, il publiait son livre sur "les Vignes américaines", fournissant ainsi de nombreuses descriptions. Malheureusement aucun échantillon d'herbier n' avait été récolté, ce qui est dommage car beaucoup de plants introduits dans les collections de Foex et de Ravaz ont disparu sans laisser aucune trace, rendant impossible toute comparaison avec les plants rencontrés dans les vignobles. Seul, Viala avait ramené de son voyage aux Etats-Unis en 1887 un herbier, qui contenait quelques spécimens des vignes américaines observées durant son séjour.

Par conséquent, pour rémédier à cette carence botanique, j'ai entrepris de constituer un herbier de toutes les vignes poussant dans les collections de l'École de Montpellier afin de pouvoir disposer d'une base de référence, accessible durant toute l'année, permettant ainsi les comparaisons avec des plants venant de diverses régions et d'effectuer l'hiver des mesures ou des descriptions ampélographiques. Aujourd'hui, cet herbier comprend des milliers d'échantillons et il a servi de base pour la constitution de l'herbier de la Station INRA de Vassal.

Parallèlement, j'ai créé le fichier des références bibliographiques de tous les cépages du monde, fichier que je pense utiliser prochainement pour rédiger un Dictionnaire international des Cépages et de leurs synonymes. De plus, chaque cépage de la Collection possède une fiche de description botanique, complétée par des observations sur les maladies existantes: mildiou, oïdium, phylloxera, etc.

Tous ces éléments m'ont permis de rédiger l'ouvrage cité plus haut, étant passé de la Protection des Végétaux à l' Enseignement en 1946, en qualité de Chef de Travaux.

Le tome I était consacré à l'étude des Vignes américaines : principales espèces, porte-greffes et hybrides producteurs directs. Ce livre interessa les viticulteurs, les chercheurs et les pépiniéristes, de sorte qu'en quelques années l'édition fut épuisée. Malgré des demandes pressantes, j'ai longtemps hésité à entreprendre une nouvelle édition, en raison notamment des modifications importantes survenues en France avec la publication du classement des cépages, écartant de la culture certains portegreffes et de nombreux hybrides producteurs directs, éliminant ainsi plus de 300 000 hectares d'hybrides. L'interêt pour les vignes américaines diminuait et j'ai préféré me limiter dans les diverses éditions du "Précis d'Ampélographie pratique" aux cépages recommandés ou autorisés, offrant ainsi au public un livre toujours tenu à jour, avec de nombreuses photos en couleurs et vendu à un prix modeste, afin de le rendre accessible à tous.

En 1967, j'ai publié ma Thèse de Doctorat ès Sciences, consacrée à la systématique "Recherches sur les méthodes d'identification et de classification des Vitacces des zones tempérées", travail important en 2 tomes dans lequel j'ai pu décrire toutes les vignes spontanées, à l'état vivant (ayant établi une nouvelle collection à partir de 1955) et comprenant non seulement les espèces américaines, mais aussi la plupart des espèces asiatiques que j'avais pu rassembler patiemment par des échanges avec les Jardins botaniques de différents pays.

A partir de 1959, j'ai pu commencer à voyager hors de France, soit sur l'invitation de Gouvernements étrangers pour résoudre certains problèmes d'identification des cépages, soit à mes frais lors des Congrès de l'Office International du Vin, ce qui m'a permis de visiter les grands pays viticoles d'Europe, d'Afrique du Nord et d'Amérique du Sud. J'ai fait également quelques séjours en Asie, à la demande du Ministère des Affaires étrangères en Afghanistan, en Corée du Sud et à Taiwan.

Mais je n'avais eu aucune occasion pour venir aux Etats-Unis et voir sur place les espèces américaines dans leur habitat naturel avec possibilité de les photographier, de récolter des échantillons pour mon herbier et d'évaluer l'incidence de la civilisation sur ce matériel génétique en voie de disparition à cause du pâturage par les bovins dans certaines régions comme le Texas, des traitements herbicides effectués le long des autoroutes, de l'urbanisation (villes, ouvrages d'art) et l'exploitation des champs pétrolifères. La publication en 1979 par l'Université de Cornell à Geneva (New York) de mon livre « Précis d'Ampélographie pratique » allait me faciliter l'accueil dans ce pays. Au cours de l'été 1980, je passais d'abord une semaine à l'Université de Californie où le professeur Omlo m'accueillit aimablement et me fit visiter les collections de Davis, où il avait rassemblé de nombreux échantillons d'espèces américaines, certaines étant inconnues en Europe. Après avoir visité la Napa Valley et observé différentes erreurs dans les dénominations des cépages, je partis ensuite vers le Texas faire devant l'Université de Commerce une présentation de l'œuvre de Munson, hybrideur et pépiniériste texan, qui travailla beaucoup sur les espèces américaines, diffusant de nombreux plants en France pendant la crise phylloxérique et qui reçut Viala, lors de son séjour au Texas.

J'entrepris ensuite un long périple automobile de 8 000 km en compagnie de Miss Lucie Morton, ancienne étudiante du Cours International de Viticulture et traductrice de mon livre. Ce voyage allait nous conduire depuis San Antonio (Texas) en Louisiane, au Mississippi, en Floride pour remonter vers le Canada par les États de la côte atlantique : Géorgie, Caroline du Sud, Caroline du Nord, Virginie, Maryland et New York. Après un séjour au Canada dans la région de Niagara Falls et la Station de Vineland nous redescendîmes vers New York par la Pennsylvanie et le New-Jersey. J'ai pu au cours de ce voyage acquérir de bonnes informations sur l'aire géographique actuelle de nombreuses espèces et prendre des photos montrant l'importance de la végétation occupée par chaque souche, ce qu'aucun autre chercheur n'avait montré jusqu'ici. J'ai visité aussi plusieurs Stations viticoles dépendant des Universités dans les États traversés : Californie, Texas, Mississippi, Floride, Caroline du Nord, New York, Maryland.

En 1985, j'ai effectué un second voyage d'exploration de plus de 4 000 kms aux États-Unis sur un parcours différent à travers le centre du pays depuis Minnéapolis au Minnessota jusqu'à El Paso au Texas, près de la frontière mexicaine, traversant l'Iowa, le Missouri, le Kansas, I'Oklahoma et l'Ouest du Texas. J'ai passé également une semaine en Californie et une autre en Virginie et au Maryland. Bien sûr, au cours de ces déplacements, j'ai rendu visite à de nombreux viticulteurs pour examiner leurs encépagements, leurs modes de conduite et déguster leurs vins de Viniferas ou d'Hybrides producteurs directs.

En conclusion, cette seconde édition rassemble toutes les observations faites durant ma carrière professorale non seulement sur le terrain, mais complétées par l'examen des grands herbiers du Museum d'Histoire Naturelle de Paris, du British Museum de Londres, de l'herbier fédéral de Washington, de l'herbier Bailey à Cornell University, des jardins botaniques de Montpellier, de Caracas, de Mexico, de Rio de Janeiro et de Séoul. J'ai réalisé un grand nombre de photos pour illustrer les descriptions, avec le maximum de planches en couleurs pour montrer les différences botaniques entre les espèces ou leurs hybrides.

J'ai pour terminer l'agréable devoir de remercier les Ministères de l'Éducation Nationale et de la Recherche et de la Technologie pour la subvention qu'ils m'ont accordé concernant l'impression de cet ouvrage.

Mes remerciments iront aussi à Mr Dallas, Technicien du Laboratoire de Viticulture qui a bien voulu reproduire plusieurs cartes géographiques, ainsi qu'à l'imprimerie Déhan, toujours fidèle pour réaliser cet important travail.